- KINUGASA T.
- KINUGASA T.KINUGASA TEINOSUKE (1896-1982)En même temps que le cinéma japonais, en 1896, naît Kinugasa. C’est au cœur de la culture populaire, au théâtre shinpa, charnière entre le kabuki et le shingeki (adaptation de pièces occidentales), qu’il fait ses premiers pas d’onnagata (acteur spécialisé dans les rôles féminins selon la tradition du kabuki). En 1917, il entre dans le milieu du cinéma, qui, comme le théâtre, est encore interdit aux femmes. À cette époque, on achevait un film par semaine à la Nikkatsu, dans le studio de Mukojima à Ky 拏to. Les dialogues étaient improvisés par les acteurs après une lecture sur place du scénario. Kinugasa interpréta dans ces conditions plus d’une quarantaine de films par an.En 1920, sa première mise en scène et son premier scénario, La Mort de la sœur cadette , très influencé par Blue Bird de Rupert Julian, marquent son désir de sortir des adaptations de drames shinpa. Cependant, au moment où la Sh 拏chiku, toute nouvelle compagnie, engage des actrices, son statut d’onnagata conduit Kinugasa à mener un combat d’arrière-garde. À la Kokkatsu, où il est entré avec la troupe de Mukojima, il fait trois films, puis c’est la faillite. En 1922, cumulant les fonctions de scénariste, de réalisateur et d’acteur onnagata, il réalise avec Makino Sh 拏z 拏, le père du cinéma japonais, Feux d’artifice , d’après le poète Kikuchi Kan. L’année suivante, Kinugasa organise un spectacle itinérant de rensa-geki, représentation théâtrale associée au cinéma; il connaît un tel succès qu’il fait concurrence à la salle de la Nikkatsu de Nagoya. Makino, alors directeur de Mukojima, est délégué pour «le faire cesser»: en 1923, la troupe passe aux mains de Makino.Chez Makino, qui produit exclusivement des drames historiques (jidai-geki), Kinugasa crée une section de drames contemporains (gendai-geki). Après Les Deux Oiseaux , remake de La Mort de la sœur cadette , il tourne Amour d’après La Ronde de Schnitzler, mais il est accusé par la police de dépravation des mœurs, tandis que son autre film, Village triste , est condamné pour agitation sociale. Il vient alors à la mise en scène de jidai-geki, moins compromettante. Pluie de paulownia , en 1924, est le premier film de cette série; avec Bando Tsumasaburo, il réalise L’Amour et le samouraï en 1925; mais c’est, la même année, avec Tsukigata Hanpeita , cycle guerrier de la fin du régime shogunal, qu’il bat tous ses records de recette. Cet argent sera investi dans l’adaptation d’un roman de l’écrivain néo-sensationniste Yokomitsu Riichi, Soleil (1925): l’évocation qui y fut faite du Japon archaïque scandalisa tant la droite qu’elle mena campagne pour que son titre fût changé; le film s’intitula finalement Éclat de la femme . Fâché, Kinugasa quitta Makino, malgré le succès de Tenichib 拏 et Iganosuke .Avec Une page folle (1926), sa collaboration avec les néo-sensationnistes devait au contraire se poursuivre. Kawabata Yasunari en signe le scénario. La folie étant son thème, l’objectif de Kinugasa était d’utiliser une grammaire spécifiquement visuelle, au mépris des intertitres et des commentateurs professionnels (benshi), alors maîtres de la narration. Après cette œuvre avant-gardiste, il réalise à nouveau, cette fois pour la Sh 拏chiku, une série de jidai-geki à succès avec Hayashi Ch 拏jir 拏, lui aussi onnagata de formation. Carrefour (1928) témoigne encore de ses recherches expérimentales. Il emporte ce film en Union soviétique, où il rencontre Poudovkine et Eisenstein; il le vend en Allemagne, ce qui lui permet de rester deux ans en Europe.À son retour, il réintègre la Sh 拏chiku et réalise Avant l’aube en 1931, puis une version parlante très célèbre, mais hélas disparue, comme presque toute son œuvre muette, des Quarante-Sept R 拏nin en 1932. Ch 拏jir 拏, qui est devenu une véritable star, reste son interprète principal; dans Le Déguisement de Yuki no jo (1935), il joue trois rôles, dont celui d’un acteur onnagata de kabuki: il réitérera cette performance en 1964 dans le remake d’Ichikawa Kon, La Vengeance d’un acteur .En 1939, Kinugasa (suivi de Ch 拏jir 拏, désormais Hasegawa Kazuo) entre à la T 拏h 拏. Après La Princesse serpent , jidai-geki en deux parties (1940), il doit participer à la politique nationale avec La Bataille de Kanakajima (1941) et En avant pour l’indépendance de l’Inde (1946). Après la guerre, c’est en entrant à la Daiei, dont il est avec Mizoguchi Kenji une valeur sûre, qu’il met au point ses drames historiques au style chatoyant qui séduiront l’Occident. Avant d’obtenir avec Les Portes de l’enfer (Jigokumon , 1953), film en Eastmancolor, le grand prix de Cannes, il a réalisé Le Château de k 拏ga (1949), La Chauve-Souris pourpre (1951), Le Grand Bouddha (1952). Dans cet âge d’or du cinéma japonais, il continuera avec la même égalité de ton à réaliser des drames contemporains, Histoire de la ville basse où coule la rivière (1955), Les Femmes d’ 牢saka (1958); des meijo-mono: Le Prunier blanc de Y shima (1955). À la fin de sa carrière, il adaptera les œuvres de l’écrivain fantastique Izumi Kyoka, réalisant tour à tour: Le Héron blanc (1958), La Lanterne (1960), Cheveux ébouriffés (1961).Ce qui ne manque pas d’étonner chez ce réalisateur, c’est sa capacité à assumer à la fois les formes traditionnelles d’expression théâtrale en tant qu’onnagata et les formes avant-gardistes de l’Occident, pour finir par s’insérer sans difficulté dans les genres les plus étroitement codés de l’industrie cinématographique japonaise.
Encyclopédie Universelle. 2012.